C’était une belle fin d’après-midi, le soleil se couchait doucement sur cette ravissante copropriété, et j’étais en plein milieu d’une visite plutôt prometteuse. Le couple que j’accompagnais semblait enchanté par la luminosité du salon et l’agencement idéal pour leur projet de bureau à domicile. Tout se passait à merveille… jusqu’à ce que le premier coup de flûte résonne.
Au début, ce n’était qu’un petit sifflement, à peine perceptible. Mais en quelques secondes, le son est monté en puissance. Une mélodie baroque, enjouée mais… légèrement dissonante, s’est mise à envahir l’espace. C’est alors que j’ai compris : le voisin mélomane était entré en scène.
Vous voyez, à 18h tapantes, chaque soir sans exception, ce voisin du troisième étage sort sa flûte traversière pour un “concert” improvisé. Il fait partie de ces passionnés qui ont le sens du rituel. À cette heure précise, les murs de l’immeuble vibrent au rythme de ses performances. Certains morceaux sont plutôt réussis, je l’admets, mais d’autres… disons qu’ils nécessitent un peu plus de pratique.
Mon couple de visiteurs, surpris, s’est arrêté net. Le mari a arqué un sourcil, la femme, elle, s’est tournée vers moi avec un regard interrogateur. En agent immobilier chevronné, j’ai enfilé mon plus beau sourire et entrepris d’expliquer la situation.
« Oh, ça ? Ne vous inquiétez pas, c’est… comment dire… l’ambiance sonore du quartier ! Vous savez, ce voisin est un véritable mélomane, et il offre des petits concerts tous les soirs à 18h. C’est un peu comme avoir un festival de musique privé, non ? » ai-je dit avec enthousiasme.
Le couple s’est regardé, mi-amusé, mi-intrigué. La femme a écouté un instant, puis a murmuré : « C’est original… » Mais j’ai bien vu dans son regard que “original” n’était pas forcément synonyme de “désirable”. J’ai senti qu’il fallait donner un coup de pouce à cette “caractéristique” du bien.
« Vous savez, certains voisins apprécient vraiment ces moments. Ça crée une certaine convivialité, une sorte de rituel quotidien. Certains applaudissent même à la fin ! Bon, d’autres… ferment leurs fenêtres, c’est vrai, mais c’est ce qui fait le charme de cet immeuble. C’est un petit supplément d’âme, unique. »
Pendant que je parlais, le concert s’est intensifié. Un enchaînement de notes aiguës a fait sursauter le mari, qui a alors discrètement ajusté la porte-fenêtre du balcon pour limiter un peu la cacophonie. J’ai enchaîné aussitôt, en insistant sur les doubles vitrages « ultra performants » qui « isolent parfaitement du bruit ».
Le récital s’est terminé brusquement, comme il avait commencé. Un dernier souffle désaccordé, puis plus rien. Mon couple d’acheteurs semblait à la fois soulagé et perplexe. J’ai glissé un dernier argument, avec un petit clin d’œil : « Et puis… si vous aimez la musique, qui sait, vous pourriez même demander un morceau à la carte. »
Ils ont ri poliment, mais je savais que ce petit concert improvisé resterait gravé dans leur mémoire, qu’ils achètent ou non l’appartement. Après tout, il n’est pas donné à tout le monde d’assister à une visite immobilière avec un accompagnement musical en direct !
Finalement, le voisin mélomane est devenu une sorte de signature sonore pour cet immeuble. Pas de clocher d’église ou de passage de train ici, juste un passionné de flûte traversière qui, chaque soir, nous rappelle que certains talents sont… encore en devenir.