Administration & Gestion

Moi, syndic ?

Je m’ouvris de mes difficultés à un personnage, que j’entretenais, de loin en loin, de mes tentatives. « Eh bien, me dit-il un jour, avec le ton que Napoléon devait employer avec ses soldats sur le pont d’Arcole, changez de syndic ! ».
Ah, c’était simple, vraiment ! Changer de syndic. En trouver un autre. Et où le trouver ? Cet organisme associatif pouvait peut-être m’aider ? Je pris donc rendez-vous auprès de la permanence juridique de l’association, un jeudi matin (encore une demi-journée de congé annuel consommée…). Plusieurs permanenciers recevaient, dans de petits bureaux à peine isolés, des copropriétaires qui composaient tout l’arc-en-ciel, toutes les nuances, toute la palette du désarroi. Certains portaient avec peine un épais dossier dont s’échappaient factures et lettres recommandées. D’autres se présentaient timidement, verbeusement, confusément, profusément, à tel point qu’il était difficile de deviner par quel bout l’on pouvait commencer à remonter le fil du problème qu’ils étaient venus raconter. D’autres encore, en habitués, décrivaient avec concision la difficulté à laquelle ils étaient confrontés. Le ou la permanencier(e) écoutait, prenait des notes, consultait des classeurs de textes juridiques, de documents de jurisprudence, d’articles de revues spécialisées, et délivrait son oracle. J’attendis mon tour. Au bout de peu de temps, je fus reçue par un juriste d’une quarantaine d’années, aux cheveux précocement blancs, nommé Mr L..
Quand je lui expliquai la raison de ma visite (« Euh… Je cherche les coordonnées d’un bon syndic »), une franche hilarité se peignit sur son visage. « Chère Madame…. ». En proie au fou-rire, Mr L. ne parvenait pas à reprendre son sérieux. Toute la matinée, il recevait des copropriétaires anxieux, tremblants, exaspérés, maladroits, révoltés, victimes d’agissements léonins, illégaux, hors de prix, ou marqués simplement par la mauvaise qualité du service rendu, de la part du syndic A, du syndic B, et ainsi de suite jusqu’à la fin de l’alphabet. Les bons syndics étaient rares. La plupart d’entre eux faisaient « rentrer » le maximum de copropriétés dans leur portefeuille et, évidemment, n’avaient pas le temps de s’occuper correctement d’autant d’immeubles. Evidemment. Ils se penchaient, un peu, sur celles où le conseil syndical gigotait. Réparer, mettre les fournisseurs en concurrence, rechercher l’efficacité énergétique, régler les problèmes d’eau ? « Mais, Madame, ils n’ont pas le temps ! Ça prend un temps fou, ces petites choses ! » Il riait, Mr L., et de bon cœur, devant mon ingénuité.
Quand il eut recouvré son calme, il fit pivoter son fauteuil pour prendre un dossier derrière lui et, sans me regarder, me dit :
– Et pourquoi ne deviendriez-vous pas syndic bénévole ? Votre immeuble compte 22 lots. Ce n’est pas la mort d’un homme. Encore moins d’une femme », ajouta-t-il en faisant de nouveau pivoter son fauteuil.
Il me regardait, sérieux et gentil, comme un dentiste qui s’apprête à extraire une dent douloureuse.
-D’après ce que vous me dites, vous consacrez plus de temps à essayer de forcer le syndic à faire des choses qu’à les faire vous-même. Et vous êtes quand même obligée de les faire, ces choses, parce que lui ne les fait pas, ne veut pas les faire, ne les fera jamais. Et en plus, il vous parle mal, si j’en juge par les courriels que vous venez de me montrer (je lui avais en effet apporté quelques échanges récents, où le ton du syndic, de rogue, était devenu franchement déplaisant).
– Mais je n’y connais rien ! bredouillai-je. Je ne sais pas tenir une comptabilité, je ne saurais pas comment contraindre un copropriétaire mauvais payeur à acquitter sa part de charges, je ne suis pas juriste, je ne suis pas chauffagiste…
-Nous sommes là pour vous aider, objecta-t-il. Personne n’est omniscient. Le plus délicat, c’est de se lancer. Ensuite, vous verrez – il dessinait avec ses mains un mouvement de roulis -, ça se met en place, ça s’installe dans les habitudes. Vous avez un conseil syndical qui vous soutient, je crois. C’est une condition essentielle. Le travail en lui-même n’est pas d’une complexité folle. Vous le faites déjà.
Moi, syndic ?
J’avais le mal de mer.
-Moi, syndic ? articulai-je faiblement.
-Vous.
-Mais… on a le droit, légalement ?
– Très bonne question. Article 28 du décret n°67-223 du 17 mars 1967 pris pour l’application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Modifié par le décret n°2004-479 du 27 mai 2004 en son article 17, paru au Journal officiel de la République française du 4 juin 2004 (il récitait à voix haute). Ouvrez les guillemets : « … les fonctions de syndic peuvent être assumées par toute personne physique ou morale. » Vous pouvez parfaitement être le syndic bénévole de votre copropriété, si vous le décidez et si les copropriétaires vous élisent. Car il faut un vote en AG, bien sûr. »
Je ne sais plus comment se termina ce premier entretien. Je crois bien que j’invitai, ou plutôt que je demandai, à Mr L. de bien vouloir venir prendre un café avec moi, car j’étais en état de choc.

Florence C

Par Contributeur D.