11 heures de vol, 3 plateaux-repas et 4 films plus tard, le géant bronzé atterrit à Roissy. Replonger dans Paris l’éberlua ; une éternité qu’il n’avait pas quitté son ghetto de Cape Town… quatre ans exactement. Il voyageait léger, un petit sac sur l’épaule, ne restant que 2 jours sur place : cet après-midi rendez-vous avec son passé qui le rattrapait… et demain réunion avec le bureau parisien de l’ONG qui l’employait.
Engoncé dans son costume italien griffé, le notaire faillit perdre son flegme légendaire lorsque le grand échalas bronzé se laissa tomber sur le fauteuil Chesterfield, coiffé de son chapeau en cuir, sa chemise ouverte sur un gros médaillon peace and love ! L’homme de loi fit la lecture : « votre tante vous lègue plusieurs appartements dan un immeuble placé sous le régime de la copropriété et… ».
– Ok, allons-y !
– Maintenant ?
– Je suis pressé ! Mon ghetto m’attend !
– Pardon ?
– Laissez tomber ! Je parle de mon travail en Afrique du Sud.
– Ah… bien, bien. Vous ne voulez pas savoir où se trouve l’immeuble, ni la valeur des appartements ?
– Non ! On y va ? dit le géant chapeauté en se levant.
Le notaire enveloppé courait à côté du géant dans un remake de Don Quichotte et Sancho Panza !
– Voici la copropriété. Comme vous le voyez, elle est vétuste. Il faudra réaliser des travaux avant de pouvoir louer vos appartements. Vous voulez louer, bien sûr ? Cela sera d’un bon rapport.
À cet instant une SDF tendit la main : « À vot’bon cœur. Je suis réfugiée. Pas de logement ni de nourriture. Mer… ». Le notaire lui passa devant comme si elle était transparente et s’avança la clé à la main pour pénétrer dans le hall de l’immeuble.
– Nous voilà arrivés.
En se retournant, il s’aperçut qu’il parlait dans le vide. L’héritier bronzé était accroupi devant la SDF… « Qu’est-ce qu’il fout encore ! ». Son sang ne fit qu’un tour, il revint sur ses pas et commença à hurler sur la jeune femme pour la faire décamper.
– Si ce n’est pas malheureux… C’est avec des gens comme ça que le quartier perd de sa valeur.
– Je vous conseille de lui parler autrement car vous vous adressez à ma locataire !
Le notaire le regarda, devenu aussi immobile qu’une statue de marbre, avant d’éclater de rire.
– Ah ah… Vous m’avez bien eu, Monsieur. Humour Sud-Africain, certainement !
– Je pense que vous ne m’avez pas écouté. Et je vous prie de revenir lui faire signer dès cet après-midi un contrat de location en bonne et due forme.
– Un con… con… trat… Vous n’y pensez pas ! Et comment va-t-elle payer le loyer ?
– En nature, pardi !
Après être passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, le visage du notaire se stabilisa sur le rouge.
– Peut-être que chez vous, c’est poss… ible. Pas ici !
– Où est le problème ? Nous sommes tombés d’accord. Et cette femme me plait ! Beaucoup ! Dès ses premières paroles, elle m’a conquis.
– Enfin… il y a des lois !
– Vous vous débrouillez. C’est vous l’homme de l’art. Vous vous arrangez pour que tout soit légal.
– Mais Monsieur… Je ne suis pas proxénète !
– Je ne vous le demande pas. Vous êtes bizarre ? Tous les notaires sont ainsi à Paris !
– Vous dites qu’elle va payer son loyer en nature… Cela me paraît clair. Hum… hum… si cela vous gratouille vraiment, je pourrais vous donner… hum… hum… des adresses.
– Ah ah !
Le géant lui donna une grande claque dans le dos. Le notaire se transforma l’espace d’un instant en culbuto et ne dut qu’à son poids de ne pas valdinguer.
– Vous me prenez pour qui ! Dégoutant personnage, lubrique, libidineux, satire !!! Madame dont l’histoire m’a touché au cœur paiera son loyer en remettant en état les pièces de l’appartement : elle était couturière dans son pays… et son compagnon travaillait dans le bâtiment. Ils auront un an pour remettre l’appartement en état… et après, ils ne paieront rien pendant une autre année. Vous prendrez sur l’héritage de ma tante pour leur permettre d’acheter le matériel nécessaire.
– Cela ne concerne qu’un seul appartement…
– N’ayez crainte. Elle va rameuter des gens dans le besoin qu’elle connait, et vous préparerez sept autres contrats, aux mêmes conditions. Ainsi dans une année, l’immeuble sera en partie rénové. Vous m’avez bien dit que la copropriété comptait huit appartements ?
– Huit Monsieur. Enfin, oui…. Euh… huit… je ne sais plus où j’en suis.
– Ne me dites-pas que vous vouliez en garder un pour le remettre vous-même en état le week-end !
– Non… non… Non, merci ! Ce n’est pas dans ma « nature » !