L’établissement des documents comptables que sont les appels de charges me donna du fil à retordre. L’expert-comptable que m’avait recommandé l’Association des Responsables de Copropriétés, Mr H., était compétent et affable. Sa tête ronde, plus encore que son nom patronymique, son pantalon de velours côtelé et son pull marin, trahissait le vrai Breton. A ses côtés, travaillait Mme V., une élégante jeune femme que j’ai vue, en un an, fléchir sous la charge de travail. Comme souvent, le titulaire de l’expertise donnait un cadre et des références, et la tâche quotidienne était accomplie par sa collaboratrice. C’est donc essentiellement avec Mme V. que je fus amenée à nouer des contacts.
« La comptabilité est un langage », m’expliqua placidement Mr H. lorsque nous eûmes notre premier entretien. Je m’aperçus très vite que c’était effectivement du chinois. En comptabilité, les conventions ne sont pas les mêmes que dans la vie ordinaire. Une somme qui entre dans les fonds de la trésorerie – une recette donc – peut parfaitement se trouver affectée d’un signe négatif. + 1 000 € deviennent ainsi – 1 000 €. Aucun sadisme ne préside à cette inversion des signes : c’est, tout simplement, le plan comptable général, arrêté par les instances réglementaires et professionnelles, qui décide de ces conventions, au moins pour la France et pour l’Union européenne ; car, outre-Atlantique, les conventions peuvent être différentes.
Moi, je faisais les écritures primaires : je consignais dans un cahier à carreaux tout ce qui entrait dans la caisse de la copropriété et tout ce qui en sortait, en conservant soigneusement les factures. Ces données brutes étaient ensuite moulinées par un logiciel qu’avait mis au point Mr H., avec l’aide de l’un de ses neveux, informaticien de son état. Ce logiciel, résultat de plusieurs années de travail, le remplissait de fierté, et je dois dire qu’il y avait de quoi : car, à la fin de l’année, au lieu des infâmes tableaux illisibles du syndic, l’application informatique crachait de fort jolis états récapitulatifs, les fameux « états comptables « exigés par le décret n°2005-240 du 14 mars 2005 relatif aux comptes du syndicat des copropriétaires. L’on parvenait à y comprendre quelque chose même quand on n’était pas comptable de profession.
Seulement… une copropriété est un ensemble de spécifications minuscules, ce dont on ne s’aperçoit pas au début. On croit qu’on est clair, et on ne l’est pas du tout. J’avais bien sûr remis à Mr H. et à Mme V. l’état descriptif de division contenu dans le règlement de copropriété des Pommiers : chaque lot (appartement, commerce, garage, cave) s’y voyait affecté un nombre précis de tantièmes ; on dit parfois aussi millièmes, ou dix-millièmes. Ces tantièmes n’avaient pas varié depuis la construction de l’immeuble. Mais des malentendus ne tardèrent pas à apparaître : par exemple, il y avait garage et garage. Certains copropriétaires disposaient d’un parking extérieur, et d’autres d’un box intérieur. Il n’était pas juste que les propriétaires d’un parking extérieur participent à l’entretien du volet roulant qui protégeait l’accès du garage intérieur où se situaient les boxes. Ce n’est qu’un exemple. Faute d’avoir clarifié d’emblée ce point, et d’autres de la même engeance perfide, car j’étais tellement débordée que je n’y avais pas pensé, des erreurs se glissèrent dans les premiers appels de fonds. Elles étaient petites, mais multiples. Je faisais des bonds en recevant les projets d’appels de fonds que m’envoyait par courrier électronique Mme V.. Il nous fallut à peu près trois appels de fonds, donc trois trimestres, pour bien nous caler mutuellement et éviter les chausse-trapes. En attendant, j’avais des sueurs froides chaque fois qu’il fallait renouveler l’exercice. J’ai passé des heures à vérifier des colonnes de chiffres. A la fin, mes yeux se brouillaient, je n’avais plus aucune distance et laissais passer des erreurs de débutant(e). Mme V., de son côté, qui faisait de son mieux, cédait parfois au découragement quand elle devait rectifier, pour la troisième ou quatrième fois, tel ou tel montant, sachant qu’un changement dans un seul document nominatif entraînait un changement dans tous les autres.
Florence C.