Exécution des travaux

Bert dans la poubelle

Bonjour,
Je vous renvoie le texte déjà envoyé le 10/12 car en le relisant je me suis aperçu qu’il manquait 2 mots dans une phrase du paragraphe commençant par “Bert, était le personnage sérieux, rabat-joie, voire colérique…”. Voici donc la version corrigée :

Lundi 4 septembre 2023, 8h12, dans une petite copropriété du centre-ville de Marseille.

J’étends mon linge sur un étendoir fixé à mon balcon qui surplombe la cour de l’immeuble, au 2e étage.

Je suis pressé et un t-shirt échappe de mes mains et tombe dans la cour. Et pas n’importe lequel.

Un t-shirt au départ somme toute banal. Acheté sur le marché en bas de chez moi, en coton, gris, col en V, parfait sous une chemise à la mi-saison ou pour un dimanche tranquille. Mais ce qui lui donne une certaine valeur affective, c’est que j’y ai cousu côté cœur un petit patch, comme j’aime le faire sur les habits sans caractère, qui représente une figure de mon enfance aux Pays-Bas : Bert (prononcer Bèrte).

Bert est un des personnages qui animent la Sesamstraat, Sesame Street pour la version originale américaine. C’était une émission quotidienne jeune public qu’on regardait après le dîner avant d’aller se coucher. Chaque soir on suivait les aventures de cette rue habitée par plusieurs drôles de marionnettes multicolores et dotées d’immenses bouches.

Bert, tête jaune allongée dotée d’une petite touffe de cheveux noirs, yeux noirs surplombés d’un monosourcil, vivait dans une des maisons de la rue Sésame avec son ami Ernie, tête orange plus ronde, dotée d’une chevelure plus abondante, et de yeux tout aussi noirs et sans sourcil. Ils partageaient la même chambre mais avaient chacun leur lit d’où ils discutaient souvent. Une manière de préparer les jeunes téléspectateurs à rejoindre leurs propres lits.

Bert, était le personnage sérieux, rabat-joie, voire colérique là où Ernie était le gai luron, tête-en-l’air et blagueur. Je me suis donc constitué deux t-shirts, un avec le patch de Bert et l’autre avec celui d’Ernie, une manière peut-être d’afficher discrètement mon humeur quand je verse plutôt du côté de de la morosité de Bert ou de la bonhomie d’Ernie.

Alors quand le t-shirt m’échappe et que je m’aperçois que c’est Bert qui est en train de tomber dans la cour je ne peux m’empêcher de me dire que cela ne va pas améliorer son acrimonie et je sens un reproche me parcourir.

D’autant que je n’ai pas le temps d’aller le récupérer. Il faudrait pour cela passer par le restaurant du rez-de-chaussée, demander l’autorisation à son gérant, et enjamber une des 3 fenêtres d’un local technique qui donne sur la cour. Trop d’actions à 8h12 quand on a un rendez-vous à 8h30, ailleurs.

Je sauverai Bert en rentrant tout à l’heure, à midi.

Midi arrive.

Plus de t-shirt, plus de Bert.

Comment a-t-il pu disparaître en une matinée ?

Comment s’est-il volatilisé alors que la cour n’est ni utilisée ni accessible sauf rares interventions sur les appareils de froid, de chaud et de ventilation du restaurant ?

Du balcon je vois à travers une des trois fenêtres du local technique qu’un artisan est en train de peindre ou d’enduire un mur du restaurant.

Je l’appelle :
– Monsieur, est-ce que vous auriez vu un t-shirt que j’ai fait tomber ?
– Non j’ai rien vu.
– Et est-ce que quelqu’un est venu dans la cour ce matin ?
– Oui une entreprise est passée tout à l’heure, ils ont bouché la porte qui était là.

En effet, je me remémore que la porte permettant d’accéder de l’appartement du 1er étage à la cour devait être condamnée dans le cadre de la vente dudit appartement.

Je descends au rez-de-chaussée, traverse le restaurant, accède à la cour et à la place de la porte un enduit encore frais commence à sécher.

Mon enquête prend alors un tour décisif et les circonstances de la disparition du t-shirt et de Bert se précisent.

Une hypothèse prend corps, le t-shirt a servi à nettoyer quelque chose, des outils ou le sol.

Comment un être humain doté d’une base minimale de sens et de sensibilité peut prendre un t-shirt arborant la figure digne et stoïque de Bert pour en faire un vulgaire chiffon ?

Je n’ai pas le temps de m’attarder sur la nature humaine qu’un espoir naît soudain, je peux encore retrouver mon t-shirt, je peux encore sauver Bert !

A Marseille, comme dans d’autres villes sûrement, il n’est pas rare que les professionnels utilisent illégalement les poubelles des déchets ménagers pour les déchets de leur commerce ou de leurs travaux. Ni une ni deux je descends dans la rue et fonce vers les conteneurs poubelles les plus proches.

Il est là ! Dans un conteneur miraculeusement peu rempli, au fond d’un seau où se mêlent différents déchets du chantier : tubes de joints de façade, membrane d’étanchéité, canettes…

Bert me regarde avec ses deux billes noires et son monosourcil me suppliant de le sortir de ce bourbier.

Le t-shirt est mouillé et sali mais récupérable, alors je le récupère.

La disparition résolue, une deuxième phase de cette histoire s’ouvre à moi.

J’abandonne l’habit de l’enquêteur après avoir pris en photo le t-shirt au-dessus de la poubelle en guise de preuve, pour revêtir celui de l’éternel râleur d’une copropriété dont je suis le seul propriétaire occupant, préposé à la gestion de toutes les joies et misères qui accompagnent la bonne tenue d’un immeuble.

J’appelle le Syndic et demande à la gestionnaire de la copropriété, Tess, quelle est l’entreprise qui est intervenue sur place ce matin. Elle me répond et me demande de lui envoyer par mail la photo que j’ai prise et les détails de cette sombre affaire afin d’écrire elle-même à l’entreprise et me demande si j’accepte d’être en copie de son message.

Bien sûr que j’accepte !

Mardi matin 11h54, mail envoyé par Tess :
« Bonjour,
Je fais suite à notre conversation téléphonique de hier après-midi et vous demande de bien vouloir prendre connaissance du mail de M. VAN LIDTH ci-dessous, propriétaire d’un appartement au 2ème étage, étonné et à juste titre du comportement de vos ouvriers intervenus hier sur la copropriété.
Nous aimerions avoir un retour de votre part à ce sujet.
Dans l’attente et vous en remerciant,
Salutations. »

Réponse de l’entreprise à 13h47 :
« Madame, Monsieur,
En tant que responsable de la société XXX*, je tiens à vous présenter mes sincères excuses pour cet incident occasionné par nos ouvriers. Je prends cet incident très au sérieux et je ferai de mon possible pour empêcher que ce genre de chose se reproduise à l’avenir.
Concernant le dommage que cela vous a causé, je vous propose de vous rembourser votre t-shirt.
Encore une fois, je vous présente mes excuses pour tout inconvénient causé.
Bien cordialement »

Je réponds à 16h :
« Bonjour Monsieur,
Merci pour votre réponse qui tend à montrer que vous prenez notre message en considération et c’est appréciable. Plutôt que de rembourser le t-shirt je propose plutôt (plus simple et plus symbolique) que vous fassiez un don à Clean my Calanques, association marseillaise qui se bat pour qu’il y ait moins de déchets en mer et sur terre à Marseille.
Beaucoup des déchets qu’ils ramassent viennent notamment de la mauvaise utilisation qui est faite des poubelles à Marseille, cela me semble donc plus approprié comme geste de votre part : https://www.cleanmycalanques.fr/nous-aider
En vous en remerciant par avance.
Bien cordialement. »

A 18h le responsable de l’entreprise répond à mon mail avec en pièce-jointe un reçu de don de 100 euros pour Clean my Calanques.

A 18h01 sur mon t-shirt, discrètement, Bert esquisse un très léger sourire.

Fin.

Par Floris V.