Relations de voisinage

Les escaliers

L’automne et l’hiver ont aspiré la chaleur de l’été. Le décor est le même, la
tramontane s’engouffre dans la cage d’escalier de l’immeuble. Du bruit monte du hall d’entrée de la copropriété, des pas tambourinent sur les marches, la cadence augmente. Sur la pointe des pieds je regarde au travers de l’œilleton, un, deux, trois policiers, des pompiers aussi passent à toute allure. Un amant discret s’y était faufilé, il ne viendra plus.
Sa maîtresse ce matin s’est faîte égorger par son mari éploré.
Je dois descendre les escaliers, passage obligé pour me rendre à la cave où est
stocké le charbon. Dès mon premier pas dans la descente, une fraîcheur glaçante
sortie des hublots fendus me saisissent. Le vent augmente ma sensation de froid,
son sifflement aigu descend les sept marches en dessous de zéro à mes côtés.
Ces endroits- là en plein hiver sont envahis de courants d’air, de portes qui claquent, de musiques lugubres cognant dans tous les recoins. C’est terrifiant de
s’y aventurer après dix-neuf heures, seule ma fierté de petit garçon me fait avancer. Je vais appuyer sur l’interrupteur, j’ai peur de rencontrer une autre main. Nos appartements sont équipés d’une chaudière à charbon. Très rapidement, je remplis le seau, le bruit étourdissant de la pelle tape, le charbon tombe, enfin il est plein, la panique augmente au fur et à mesure que l’opération se termine. La lumière ténébreuse fait danser l’ombre de l’homme au couteau, mon voisin du dessus.
Quelques morceaux de charbon tombent, je ramasse, je ne ramasse pas je ne
peux plus, vite dans les escaliers, enfin devant la chaudière qui avale toute la
cause de mes frayeurs. Encore du bruit à la descente dans le feu, puis celui du tison, et enfin je suis rassuré par la chaleur que dégagent les radiateurs en fonte ou en fer installés dans toutes les pièces. La cave, ce lieu terrifiant où seuls les charbonniers de l’époque s’y aventuraient sans souci, la cave, le lieu où nous nous cachons des autres pour y faire tout ce qu’ils ne doivent pas voir, pas savoir, seulement s’imaginer. La cave reste pour nous citadins notre forêt où la nuit tombée il ne faut pas pénétrer, mais à chaque fois en sortir nous a fait grandir.
A MA VOISINE QUI AURAIT VOULU REVER.

Par Pascale B.