Depuis de nombreuses années, une famille fait parler d’elle dans notre Résidence placée sous le régime de la copropriété.
Les « jumeaux terribles » comme nous les appelons officieusement entre voisins.
Deux frères jumeaux qui en auront fait voir de toutes les couleurs à la Résidence et aux différents commissariats du quartier :
– démontage et revente de scooters volés entre deux caves du sous-sol,
– organisation d’un point de vente de produits stupéfiants dans le local poussettes,
– bagarre au couteau dans la cage d’escalier (le sang, ce n’est pas vraiment simple à nettoyer sur les murs),
– et j’en passe.
Nous avions enfin retrouvé le calme lorsque ces deux frères ont été incarcérés, mais malheureusement pour une trop courte durée à notre gout. A leur sortie et retour dans la copropriété, les interventions de police ont repris de plus belle.
La situation a rapidement empiré : des jeunes ont fracturé la porte de leur domicile et pris leur mère en otage jusqu’à l’intervention musclée de la Police. Puis deux incendies volontaires en pleine nuit, des jeunes sont entrés par effraction dans l’immeuble et ont jeté des cocktails molotov sur la porte de leur appartement en criant vengeance.
C’était la goutte de trop, nous avons vivement incité cette famille à déménager pour le bien de la copropriété et de ses résidents.
Mais nous avions oublié un détail important : prévenir leurs ennemis de ce déménagement.
Je suis leur voisin de palier, et la nuit dernière j’entend taper violemment dans le couloir.
Je saute du lit en oubliant de m’habiller et ouvre la porte d’entrée pour voir ce qu’il se passe sur le palier.
Deux hommes cagoulés me font face et me demandent où est X (l’un des jumeaux terribles).
Ils ne relèvent même pas mon habit d’Eve ni les traces d’oreiller et de bave sur mon visage.
Moi je tremble et calcule rapidement les pourcentages de chance de m’en sortir indemne.
« Eh, t’es sourde ? Il est ou X ? Il est chez toi ? » me lance l’un des gars.
Je prends mon courage à deux mains : « Il a déménagé, toute la famille a déménagé, ils n’habitent plus là, pourquoi ? Vous êtes des amis à lui ? »
Je me mords les lèvres en entendant ma connerie. Des amis à lui bien sûr ! Cagoulés en pleine nuit, c’est forcément un anniversaire surprise ou une soirée costumée !
« Il a déménagé où ? T’as son adresse ? »
Je me dis qu’en établissant un dialogue, ils ne s’en prendront peut-être pas à moi, alors j’enchaine sans réfléchir : « Non ils sont partis sans dire au revoir ni laisser d’adresse, vous savez ils ont été attaqués deux fois au cocktail molotov alors … »
C’est la que mon regard tombe sur la bouteille que tient l’un des hommes dans sa main et qui ressemble sans aucun doute à un de ces fameux cocktails.
Bien sûr qu’ils savent car c’est sans doute eux qui sont à l’origine des deux précédents incendies volontaires.
Je tremble, mais contre toute attente, le deuxième homme en retrait attrape son acolyte et me remercie en me disant qu’ils doivent partir.
La pression redescend et je leur réponds alors : « De rien, bonne soirée » – oui c’est la cerise sur le gâteau.
Dorénavant, vous pourrez donc reconnaitre notre copropriété aux affiches placardées sur toutes ses portes d’accès : « LA FAMILLE X N’HABITE PLUS ICI ».