Relations de voisinage

Sacrée ZIZETTE

Au début du 21°siècle, nous habitions dans une copropriété où résidaient une majorité de retraités qui avaient fort bien accueilli notre couple et nous avaient associé à la vie conviviale de cet immeuble où leurs enfants avaient grandi. Bien sûr, je fus rapidement appelé au conseil syndical.
Par leurs relations avec nous, certains compensaient peut-être l’éloignement de leurs enfants pour cause professionnelle, conséquence d’études d’autant plus réussies que les parents étaient des instituteurs formés à l’école normale de la 3° République.
Parmi eux, Zizette était la doyenne au caractère bien trempé, amatrice de bridge et d’activités variées. Un dimanche matin, j’ai été prévenu que depuis la veille, on ne la voyait plus et qu’elle ne répondait pas aux visiteurs. Certes, elle était parfois imprévisible ou distraite, mais Zizette n’était-elle pas en difficulté dans son appartement ?
Un de ses anciens collègues a aussitôt appelé leurs connaissances communes qui auraient pu disposer de quelque information, et nous cherchions ensemble si un résident avait une clé de son appartement.
Sans réponse, je me suis décidé à appeler les pompiers pour entrer chez elle et éventuellement lui porter secours. Ils sont arrivés avec un camion dont la nacelle n’a pas pu atteindre son 10° étage.
ACTION : qu’à cela ne tienne, les pompiers sortent les haches pour briser la porte. Je ne suis pas très sûr d’avoir bien fait de les appeler, mais quand c’est parti, c’est parti !
A ce moment précis, son ancien collègue m’appelle avec le nom de la personne de l’immeuble qui détient sa clé. Je fonce chez elle. Elle ne veut pas entrer chez Zizette mais elle accepte de me passer la clé. L’ascenseur est occupé, je grimpe 4 à 4 les 3 étages restant et j’arrive sur le palier du 10° au moment où les pompiers et leurs haches sortent de l’ascenseur.
OUF, je peux ouvrir ! Nous faisons le tour de l’appartement : pas de Zizette. Cela vaut sans doute mieux. Il restera à lui expliquer ce qui s’est passé. Aujourd’hui, ce ne sera pas moi car déjà retardés, nous devons nous absenter pour la journée et la soirée.
Le lendemain, mon épouse apprend que Zizette, furax, a pris son ton d’institutrice mécontente pour réprimander la personne qui m’avait confié les clés et s’en trouvait fort marrie. Il me faudra la dédouaner, en même temps que j’irai rendre des comptes à Zizette…
Dès que possible, je sonne chez Zizette. Elle ouvre : « je suis contente de vous voir, entrez… », et elle m’installe dans son salon : « prenez le fauteuil club, c’est pour les hommes ; moi je prends la bergère » ; je connais bien son habitude, ça va. Elle poursuit, toute douce « vous savez, j’ai réfléchi, si vous avez fait ça, c’est que vous m’aimez bien » Je respire et bois du petit lait (quasi maternel).
Et c’est elle qui me rend des comptes, d’abord à voix basse : « dimanche je suis allée au temple ». (Ah ! pensé-je) « et samedi j’ai oublié qu’on venait me chercher pour me conduire au restaurant fêter mes 90 ans en même temps que 2 copines ; je suis partie seule, à pied ». Elle poursuit, enjouée :« au restaurant, ils étaient adorables et nous avaient préparé un cadeau pour chacune ; je vais vous le montrer »
Alors Zizette jaillit de sa bergère et file au fond de son appartement J’attends tranquillement, calé dans le fauteuil club.
Enfin, je l’entends revenir et soudain, BOUM, BADABOUM. Elle a du tomber… Je ne la rejoins pas illico par égard pour son amour propre, puis j’entends une petite voix :« j’suis tombée, j’peux pas m’relever ».
Hop ! J’interviens (comme disait Achille Talon) et la retrouve tremblante, couchée à plat ventre sur le sol.
Après qu’elle ait vérifié n’avoir rien de cassé et une fois sa respiration calmée, nos efforts conjugués lui permettent de se relever et regagner sa bergère.
Avant que je la quitte, elle me dit d’un ton suppliant :« Vous ne direz rien à personne… ».
J’ai tenu parole pendant 20 ans. Aujourd’hui, il y a prescription, et lorsque parfois je raconte cette aventure à ceux qui l’ont connue, c’est avec empathie et émotion que nous pensons à elle.Sacrée Zizette !

Jean et Mireille R.

Par Contributeur D.